Le rechauffement du climat cree de nouvelles sources de conflits
Prenez le cas du Darfour. Même si le conflit a des origines diverses, il est clair que la désertification progressive vers le sud a conduit à une compétition pour les terres entre les nomades éleveurs de bétail et les fermiers sédentaires, d'ethnies différentes. Et le Soudan, Etat en déroute, est incapable de réguler ce conflit, ou n'importe quel autre.
Des catastrophes peuvent aussi découler d'événements météorologiques extrêmes, comme ce fut le cas à La Nouvelle-Orléans, où l'ouragan Katrina a conduit à un effondrement total de l'ordre social. Et en provoquant la fonte de la glace arctique, le réchauffement ouvre la voie à un conflit autour des ressources naturelles du Grand Nord, qui n'étaient pas exploitables jusqu'à maintenant.
La tension provoquée par les dérèglements climatiques se retrouve aussi dans le face-à-face entre les réfugiés, qui fuient leur pays pour survivre, et les nations riches. La politique de protection des frontières des pays développés est-elle aussi facteur de violence ?
Il est évident que le nombre de "réfugiés climatiques" augmentera dans les années qui viennent. Comment les Etats développés les accueilleront-ils ? De la même manière, je crains, qu'ils reçoivent déjà ceux qui fuient la faim et la pauvreté. En Europe, la volonté actuelle des gouvernements est d'abord de rendre de plus en plus difficile le voyage des demandeurs d'asile. Résultat : les tentatives de traversée sont de plus en plus dangereuses et mortelles.
Les pouvoirs publics cherchent également les moyens de contenir les réfugiés sur le continent africain, "externalisant" alors la violence dans les pays d'Afrique du nord. D'où la création, par exemple, de camps de rétention au Maghreb, la police se chargeant ensuite de renvoyer brutalement les réfugiés dans leur pays d'origine. Cet éloignement du territoire européen permet d'occulter le fait que ces violences sont commises dans "notre" intérêt.
Qu'il s'agisse du traitement des réfugiés ou de celui des victimes de plus en plus nombreuses des dérèglements climatiques, les citoyens des pays riches ne semblent pas toujours percevoir l'ampleur du phénomène. A quoi l'attribuez-vous ?
L'observation des événements sociaux montre que ce qui était moralement inacceptable quelques années ou quelques décennies auparavant est admis lorsque la situation évolue. L'histoire du national-socialisme en Allemagne en témoigne : en très peu de temps, des gens ordinaires ont changé d'idée sur la manière dont les autres devaient être traités. Ce qui a été possible à l'encontre des juifs en 1941 n'aurait pas été accepté en 1933.
Cette dérive progressive du cadre normatif et moral, que les Anglo-Saxons appellent "shifting baselines", se retrouve dans la façon d'appréhender les dérèglements environnementaux, et leurs conséquences sur les populations des pays frappés par la sécheresse ou les inondations. Les choses finissent par se banaliser.
Comment nourrir la prise de conscience ?
Si l'on communique sur des événements qui se produiront en 2050, comme le nombre de centimètres d'élévation du niveau de la mer, les gens trouvent le message "respectable", mais s'en moquent un peu. L'information fait sens lorsque l'on peut la replacer dans un contexte d'action.
En Allemagne, par exemple, depuis quelque temps, une école de Fribourg gère au plus près son énergie pour générer "zéro émission". Cette première réalisation pousse maintenant les professeurs et les enfants à aller plus loin. Les élèves se tournent désormais vers leurs parents en disant "Pourquoi avons-nous cet énorme réfrigérateur ?", et refusent d'être amenés à l'école dans une grosse voiture. L'action a un effet "contagieux". Dès que l'on fait l'expérience concrète du changement, des dynamiques s'enclenchent.
Une des grandes faiblesses de nos démocraties est que les gens ne se sentent pas investis du pouvoir de faire bouger les choses. Face aux questions graves du changement climatique, nous avons besoin d'une "repolitisation" de la société civile, sous-tendue par des questions telles que "Quelle société voulons-nous pour 2020 ?", sans que celui qui s'interroge ainsi ne se fasse traiter d'utopiste ou de romantique.
Les dérèglements environnementaux sont provoqués, en grande partie, par un mode de vie et un type d'économie créés et promus par les pays occidentaux. Nous n'avons pas à chercher chez les autres, qu'ils soient Chinois ou Africains, ce qui a causé les problèmes actuels. Nous devons changer de mode de vie.
Cette incapacité à changer peut-elle créer des tensions et des violences entre générations ?
Oui, car l'injustice des dérèglements climatiques pèse non seulement sur les pays en développement, mais aussi sur les jeunes générations. Celles-ci subissent aujourd'hui une grande pression sociale. Elles savent que le futur ne les récompensera pas à la hauteur de leurs efforts, que ce soit en termes d'emploi ou de revenus. Nous sommes en train de consommer leur avenir financier et environnemental. D'où leur mobilisation parfois violente, et leur volonté d'agir afin de changer les règles.