Les pesticides au Liban, un fiasco agricole et économique

Liban - Agriculture Le secteur de l'agriculture risque de souffrir des retombées économiques du scandale des fruits et légumes dits cancérigènes car contenant des résidus de produits chimiques. 

Le ministre sortant de l'Environnement, Antoine Karam, a récemment dénoncé l'usage « arbitraire » des pesticides par les agriculteurs. En effet, les taux de pesticides contenus dans presque la moitié de notre production nationale de fruits et légumes sont anormalement élevés. Ils seraient potentiellement responsables à long terme de maladies cancérigènes.
Au cours d'un entretien avec la publication électronique al-Nashra, M. Karam a déclaré que « 40 % en moyenne des cultures » étaient touchées par ce problème, avec une proportion de produits agricoles souillés variant d'une région à l'autre. Malheureusement, alors que la majorité des ministères concernés se lancent la pierre à tour de bras, un secteur en particulier devrait faire les frais de cette débâcle  : l'agriculture libanaise et, à travers elle, l'économie dans son ensemble. Comme d'habitude.
Un phénomène de masse
Le problème est qu'au-delà de celui, très grave, qui nous touche directement en tant que consommateurs, les chiffres cités par Antoine Karam touchent de près le secteur agricole dans son intégralité.
Une étude parue en 2004 et intitulée « Les filières fruits et légumes frais au Liban : structures, fonctionnement et perspectives » a été réalisée par Jean-Claude Montigaud pour l'Union européenne, l'ambassade de France, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ainsi que le gouvernement libanais. Selon cette étude, le Liban a produit plus de deux millions de tonnes de fruits et légumes en 2001, constituant 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) ou presque 600 millions de dollars. Si 40 % des cultures sont effectivement touchées par la crise des pesticides, les dégâts risquent de ce fait d'être graves, notamment au niveau des exportations.
Plus en détail, et toujours d'après Antoine Karam, 40 % des fraises, 32 % des oranges, 30 % des tomates, 49 % des concombres, 14  % des citrons, 33 % des prunes et 100 % des courgettes contiendraient des résidus de pesticides, nocifs en théorie et donc impropres à la consommation car « le lavage n'élimine pas les pesticides et les maladies n'apparaissent qu'après des années ».
En se basant sur les statistiques de 2001 citées dans l'étude de J-C Montigaud concernant la production agricole libanaise, cela voudrait dire qu'environ 12 000 tonnes de fraises, 100 000 tonnes de concombres, ou encore 11 000 tonnes de prunes seraient affectées par la présence de pesticides.
En ce qui concerne les exportations, un rapport paru en 2006 du ministère de l'Agriculture indique que 400 019 tonnes de fruits et légumes ont été exportées au cours de l'année, dont 58 804 tonnes d'oranges et plus de 16 000 tonnes de citrons. Les tomates ont quant à elles représenté en 2002 une production de 273 000 tonnes, avec 6 500 tonnes d'exportées. La perte sèche occasionnée par un refoulement potentiel de ces produits aux frontières des pays importateurs, notamment les pays du Golfe, s'évaluerait alors à des millions de dollars.

Pourquoi, comment, solutions ?
Le problème ne date pas d'hier. Cela fait des années que plusieurs autres organisations non gouvernementales dénoncent les pratiques agricoles illégales en vigueur dans l'ensemble du pays. Plusieurs décrets ont pourtant été votés pour réguler l'utilisation des pesticides et fongicides (la liste complète est disponible sur le site du ministère de l'Agriculture), mais le scandale récent lié à leur usage immodéré semble démontrer que ces mesures n'ont apparemment pas été appliquées, ou respectées par les agriculteurs.
M. Élia Choueiri, de l'Institut de recherches agricoles libanais (IRAL), a déclaré à L'Orient-le Jour que les pesticides représentaient un réel danger : « L'accumulation des matières toxiques dans le foie ou les reins peut provoquer un cancer à long terme. De plus, les enfants en bas âge sont beaucoup plus fragiles et donc susceptibles d'être gravement touchés par les effets nocifs des pesticides. Les cultures annuelles, comme la culture maraîchère et les cultures sous serre, notamment les concombres, les fraises et les tomates sont parmi les plus dangereuses à la consommation, si polluées. En effet, la chaleur élevée en serre favorise la multiplication des maladies et des insectes nuisibles, d'où une utilisation abusive de pesticides. Souvent, les agriculteurs ne respectent pas les délais d'attente obligatoires. J'ai moi-même vu certains d'entre eux récolter les fruits 48 heures après les avoir arrosés de matières chimiques toxiques. » Alors, quelles sont les solutions ?
Pour M. Choueiri, les solutions sont évidentes : une meilleure coordination entre les différents ministères et services, une législation claire, appliquée sur l'ensemble du territoire, un contrôle strict des produits agricoles, des ateliers de formation mis en place pour et par les agriculteurs, des séminaires de vulgarisation, de meilleures normes de stockage et d'hygiène au niveau des pesticides qui sont souvent très inflammables et de leur date de péremption... « Le problème réside surtout dans l'anarchie totale en vigueur dans ce pays. Les agriculteurs vont consulter n'importe quel charlatan qui a ouvert boutique au village, lequel en contrepartie leur revend des produits dangereux et surtout interdits à la vente, tel ce fongicide interdit en Europe depuis 2008 et que j'ai vu circuler librement au Liban. »
Il est néanmoins trop facile d'accuser l'agriculteur lambda d'irresponsabilité  : le ministre sortant de l'Agriculture Élie Skaff, déclarait pourtant hier que l'agriculteur libanais était « le premier responsable de la violation des normes internationales dans l'utilisation des pesticides ». Certains exploitants ayant connaissance de cause sont effectivement plus que coupables.
Néanmoins, au vu de la crise de l'agriculture au Liban et la difficulté de certains producteurs à écouler leur marchandise en raison de la concurrence des pays voisins, peut-être serait-il plus judicieux de poursuivre une politique de coordination, d'information, de formation et de subventions au lieu de stigmatiser.