À quand une institution autonome pour la gestion des catastrophes ?
Le cafouillage officiel observé après la catastrophe de l'avion éthiopien soulève d'emblée une question évidente : que ferait l'État libanais face à une catastrophe naturelle de l'ampleur d'un séisme majeur par exemple, une possibilité à ne surtout pas écarter dans le cas du Liban ? Le député Mohammad Kabbani, président de la commission parlementaire des Travaux publics et des Transports, fait partie des responsables qui revendiquent la création d'un Conseil de gestion des catastrophes, et nous confie ses impressions là-dessus.
« Ce n'est pas seulement depuis la catastrophe aérienne que nous parlons de la création d'une telle institution, dit-il. Cela fait depuis 2001 que la question est sur le tapis. Mais en ce temps-là, dès que nous lancions le débat, on nous rétorquait qu'il existe au Liban un Haut Conseil des secours (HCS). Or, nous faisions remarquer que le mandat du HCS est d'indemniser les victimes et leurs familles, alors que nous avons besoin d'une institution qui gère les catastrophes, ce qui est différent. Aujourd'hui, cette idée a fait du chemin. »
M. Kabbani fait remarquer que le ministre assassiné Pierre Gemayel avait présenté au Parlement un projet de loi sur la création d'un comité d'urgence, qui serait un bon début. « Une telle institution aurait un mandat pour un travail continuel et à plein-temps, explique le député. Son action ne se limite pas à la catastrophe elle-même, mais à la préparation avant et à la récupération après l'événement. La préparation consistera à collecter des données, mener les études nécessaires, s'assurer que toutes les administrations peuvent faire face à des conditions extrêmes. Comme le principal danger auquel nous faisons face est celui des séismes, il faudra s'assurer que les bâtiments qui peuvent regrouper un grand nombre de personnes sont bâtis selon des normes parasismiques ou fortifiés : écoles, hôpitaux, universités, lieux de culte, administrations publiques, théâtres... Nous ne pouvons empêcher les catastrophes, mais nous pouvons en limiter les dégâts. »
Quelles seraient les prérogatives d'une telle institution ? « La récente catastrophe aérienne a montré qu'il y a plus d'une seule autorité concernée dans ces cas-là, souligne-t-il. Or qui est le leader en la matière ? Il faudrait une partie au centre qui gère tout, un noyau composé au maximum d'une dizaine de personnes, présidé par un secrétaire général. Celui-ci devrait avoir les compétences et l'expérience nécessaires. On pourrait le choisir parmi les experts d'origine libanaise ayant occupé un poste dans une organisation internationale par exemple. Il doit être au courant de tout ce qui concerne la gestion des catastrophes. Sous ce secrétaire général, il y aurait trois ou quatre experts dans les principaux sujets qui menacent le pays : séismes, incendies, inondations... Cet organisme devrait être rattaché directement à la présidence du Conseil des ministres, afin de pouvoir traiter avec tous les ministères. »
Ce conseil, selon M. Kabbani, aura besoin d'être secondé pour réussir sa mission. Ainsi, il sera en contact avec un haut comité présidé par le Premier ministre lui-même, afin de s'assurer de la collaboration de tous les ministères. Sous le conseil, il y aura aussi un comité exécutif formé soit par les directeurs généraux des ministères, soit par d'autres hauts fonctionnaires. De plus, le conseil devra collaborer avec la Croix-Rouge, la Défense civile, le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), les organisations internationales... Dans tous les cas, ses prérogatives seront très vastes en cas de catastrophes, précise-t-il.
M. Kabbani répète qu'il est très important que les membres de ce conseil soient d'éminents spécialistes, choisis pour leurs qualités d'experts, et non soumis aux règles du partage des parts entre responsables politiques.
Le député assure que la question de la création de ce conseil de gestion des catastrophes fait actuellement l'objet d'un suivi sérieux. « Il faut lancer cette affaire pour que le travail de préparation commence, dit-il. Le Premier ministre Saad Hariri considère la question avec le plus grand sérieux et a déjà sollicité le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour préparer la mise en place d'un tel programme. »
Savoir rebondir
Au Liban, il est évident qu'une catastrophe de très grande ampleur serait un séisme majeur. Nous avons donc demandé son avis au secrétaire général du CNRS, Mouïne Hamzé, et au directeur du Centre de géophysique Alexandre Sursock, sur ce qui serait requis d'un Conseil de gestion des catastrophes. M. Sursock fait remarquer que le tremblement de terre est un phénomène qui dure très peu de temps, mais qui modifie pour très longtemps la vie des communautés humaines. Il faut donc, selon lui, concevoir non seulement le moyen d'apporter les secours juste après un séisme, mais prévoir les moyens de se remettre sur pied par la suite, ce qui est crucial pour une société donnée. « La vraie problématique d'une catastrophe naturelle, c'est de savoir s'il y aura assez de ressources pour rebondir, si l'économie sera détruite, si les gens seront appauvris, dit-il. Il y a aussi le problème des assurances et des indemnités après coup qui peuvent avoir des répercussions sur toute l'économie, même mondiale. Les Nations unies, qui savent toujours trouver les termes adéquats, parlent de «résilience» et de «proactivité», et c'est exactement de cela qu'il s'agit. »
M. Sursock rappelle que le Liban est un des rares pays du Sud à avoir signé un accord partiel avec le traité intereuropéen pour les secours en cas de catastrophe, EUR-OPA-risques majeurs, dont le siège est basé à Strasbourg, mais que les responsables libanais y ont rarement prêté attention. Il est lui-même le correspondant de ce traité au Liban. « On ne peut pas gérer la question des catastrophes naturelles sans l'aide des autres, insiste-t-il. Il faut savoir se préparer de manière à sortir de la crise le moment venu. Au Liban, jusque-là, la préparation se limitait à assurer des tentes. Or, dans le cas d'un tremblement de terre, bien plus que dans le cas d'une guerre, on court le risque de l'isolation des régions, comme c'était le cas en 1956. »
Selon lui, « la gestion du risque implique en premier lieu qu'on accepte les risques qu'on encourt, d'où l'importance du zonage et d'une loi d'occupation des terrains, ce qui a des conséquences économiques énormes ».
Mais quel genre d'institution de gestion des catastrophes faut-il donc avoir pour pouvoir faire face aux conséquences d'un séisme majeur ? « On ne traite pas les conséquences d'une catastrophe naturelle comme on le ferait d'une guerre, explique M. Hamzé. La gestion des multiples guerres israéliennes contre le Liban était principalement politique. Mais nous ne disposons pas, à l'instar d'autres pays de la région, d'un système de gestion des catastrophes naturelles. » Selon lui, un simple comité de coordination ne suffit pas. « Il faudrait une agence autonome qui dépende directement de la présidence du Conseil des ministres, qui ait un partenariat clair avec la recherche scientifique et les organismes de secours, explique-t-il. Il faut travailler en amont et en aval. Et pour cela, il ne sert à rien de réinventer la roue. Il y a des modèles dans le monde qu'on pourrait adopter et adapter à notre situation. Il est cependant crucial que cette agence soit représentative de tout l'État et qu'elle tienne compte de la recherche scientifique qui met en évidence la fragilité sismique du Liban. »
M. Hamzé évoque le nécessaire travail de préparation, notamment la question très importante des exercices d'évacuation dans les grands bâtiments. « En cas de tremblement de terre, dans un mall par exemple ou dans une école, il pourrait y avoir plus de tués par la panique que par le séisme lui-même, dit-il. Il faut éduquer la population et consacrer des journées aux exercices de ce type. Il faut aussi préparer les médias. Ce serait là des tâches pour une agence spécialisée. »
Reference L'Orient- Le Jour