Une fuite de gaz géante au bord de la Sibérie
Il y a beaucoup de bulles dans la mer de Laptev, à l’Est de la Sibérie, et ce n’est pas de très bon augure. Une équipe internationale (Russie, Etats-Unis, Suède) a mesuré la teneur en méthane, le gaz naturel, au fond de la mer en en surface (1). L’eau contient de grandes quantités de ce puissant gaz à effet de serre, qui pourrait accélérer le réchauffement climatique.
Comme dans les sols gelés (pergélisol) des régions boréales, les sédiments sous-marins gelés de l’océan Arctique contiennent de grandes quantités de méthane. Dans la mer de Leptev et la partie russe de la mer de Chuckchi, ces sols de toundra gelés ont été recouvert par les eaux il y a 7 à 15000 ans. Jusqu’à présent, les chercheurs pensaient que le gaz était piégé dans ces sols gelés sous-marins. Mais plusieurs campagnes de mesure de 2003 à 2008 montrent qu’il n’en est rien. Le méthane s’échappe et se dissout dans l’eau: sur 80% des points de mesure l’eau en fond d’océan était saturée de ce gaz, avec jusqu’à cent fois la teneur observée dans l’eau de mer ailleurs dans le monde. Un constat relevé aussi sur la moitié des analyses d’eau en surface. Une série de mesures aériennes, par hélicoptère, ont confirmé que ce gaz s’échappe dans l’atmosphère: Au dessus de la mer de Laptev, l’air contient quatre fois plus de méthane qu’au dessus des autres régions arctiques. La région recracherait à elle seule autant de gaz naturel que l’ensemble des océans de la planète.
La concentration de méthane a doublé dans l’atmosphère, depuis l’ère pré-industrielle. La moitié du méthane émis est lié aux activités humaines (élevage, fuites, mines de charbon, etc.) et l’autre provient de sources naturelles. Et la fonte des sols gelés sous l’effet du réchauffement climatique libère le gaz formé par la décomposition de matière organique à l’abri de l’air, qui en principe est piégé dans les sols.
Contrairement aux pergélisols de surface, exposés à de rudes température en hiver et qui dégèlent doucement, la fonte des pergélisol sous-marins est un phénomène qui peut-être beaucoup plus rapide, car il ne subissent plus de fort refroidissement en hiver. La situation inquiète d’autant plus les chercheurs, que l’océan est peu profond: dans les régions à grande profondeur, le méthane qui remonte des fonds a le temps d’être transformé en gaz carbonique par des réactions chimiques. Un gaz qui, à volume égal, produit 25 fois moins d’effet de serre que le méthane. Mais dans la mer de Laptev, dont la profondeur dépasse rarement 20 mètres, le méthane s’échappe directement dans l’atmosphère. La région étudiée par les chercheurs représente trois fois la surface de sols gelés en Sibérie! De quoi provoquer une libération massive de méthane dont personne ne peut prévoir l’ampleur et les conséquences. Si un seul pour cent de ce méthane sous-marin devait rejoindre l’atmosphère, cela triplerait sa teneur!
(1) Science, édition du 5 mars 2010