Les carrières vues du ciel, dans le paysage libanais

Les carrières vues du ciel, d’affreuses taches dans le paysage naturel libanais

Par Suzanne BAAKLINI | 12/04/2010

Parfois légales, le plus souvent illégales, elles sont des centaines à polluer et dénaturer les différentes régions, sans qu'aucun plan directeur national d'organisation n'ait jamais pu en arriver à bout : les carrières, souvent géantes, grignotent depuis des années les paysages libanais

Combien sont-elles ces carrières qui rongent le paysage naturel libanais ? Officiellement, entre 700 et mille, mais beaucoup pensent que leur nombre se situerait plutôt entre 1 200 et 1 300. On le sait, au Liban, les statistiques ne sont pas toujours disponibles. Mais le flou qui entoure le nombre exact de carrières est significatif  en ce sens  qu'il s'agit là d'un indicateur de la désorganisation qui caractérise ce secteur.
Récemment, le ministre de l'Environnement Mohammad Rahhal, qui est par le fait même président du Haut conseil des carrières, a pris l'initiative de fermer un certain nombre de sites fonctionnant illégalement, demandant à tous les exploitants de carrières de présenter  des demandes de permis, qui seront accordés suivant le plan directeur. Mais selon les informations disponibles, la plupart de ces sites, dont les carrières de Aïn Dara pour lesquelles le ministre a dû livrer bataille, ont été rouverts. Le ministre était injoignable pour répondre à nos questions.

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Les dégâts causés par  les carrières sont très impressionnants quand on les côtoie sur la route. Ils le sont encore davantage vus du ciel : ces clichés de « Google Earth » sont là pour le prouver. Comme le dit un lecteur, « de loin, on dirait de la neige, mais contrairement à la neige qui fond, ces carrières sont des cicatrices éternelles ». Certaines des carrières que nous montrons ici, qui sont un échantillon de ce qui se trouve dans le pays, sont exploitées sur base de permis, d'autres ont longtemps fonctionné illégalement, d'autres encore sont toujours en activité. Mais selon des environnementalistes interrogés à ce propos, l'exploitation de ces carrières est irrespectueuse de l'environnement, quel que soit le cas.

Gains rapides et chaos
Habib Maalouf, président du Parti libanais de l'environnement (LEP), qui a présenté en 2006 une étude complète sur les carrières, pense que c'est le facteur de gains rapides et démesurés, notamment dans les sites illégaux, qui empêche toute solution  d'être appliquée. « Il y a des partis et des individus proches du pouvoir qui en profitent, voilà pourquoi ce domaine ne s'organise pas, dit-il. Notre principale proposition était de limiter les carrières dans le cadre des terrains publics, ce qui aurait conféré à l'État le contrôle  de ce dossier. Dans l'état actuel des choses, ce sont des mafias qui ont la liberté d'agir, et les grands perdants, ce sont l'État et l'environnement. »
Mahmoud Ahmadieh, président de l'association Nature sans frontières (NSF), est du même avis. « Aucune solution n'est applicable parce que dans le système actuel, l'exploitation incontrôlée des carrières est une trop grande tentation, explique-t-il. On transforme quelques tonnes de gravier et de sable en millions de dollars, et on ne reverse qu'une infime partie à l'État. Ce qu'il faut, c'est que quelqu'un tape du poing sur la table et aille jusqu'au bout. » Il insiste beaucoup sur l'application de la loi. « Il faut que la loi soit appliquée à tous et non pas à certains au détriment d'autres, souligne-t-il. Aucune des carrières ne fonctionne conformément aux normes, avec des paliers et dans le respect des recommandations de profondeur et de hauteur. Seule une infime minorité pense à réhabiliter le terrain après la fin des travaux. Nous ne sommes pas hostiles aux carrières, mais nous demandons simplement que la loi soit appliquée », ajoute l'écologiste.
Quelle solution alors ? M. Maalouf pense, quant à lui, que « la position du ministre Rahhal était bonne, et nous l'avons appuyé et encouragé à ouvrir les dossiers des carrières même légales, comme celle de la famille Fattouche qui sert de prétexte aux autres pour protester contre la fermeture de leurs carrières ». « Il semble surtout qu'il y ait un problème de coordination avec le ministère de l'Intérieur », ajoute-t-il.
M. Ahmadieh constate que « là où il y a un président de municipalité intègre, il est tout à fait possible de militer pour la fermeture d'une carrière illégale et dévastatrice, alors que cela devient impossible quand le président de la municipalité couvre les contrevenants ». « Voilà pourquoi, dans  la perspective des élections municipales, les citoyens devraient choisir avec beaucoup de précautions celui qu'ils voudraient voir à ce poste », a-t-il conclu.
Au-delà de la complexité de ce dossier, cette page de photos aériennes vise à dénoncer l'ampleur du problème sur le territoire libanais, avec l'espoir d'une application plus ferme des lois à l'avenir, que ce soit pour l'octroi des permis ou pour le respect des normes environnementales. Comme l'écrivait l'auteur Farid Zantout dès 1997, le Liban « a l'un des taux les plus importants au monde de carrières par kilomètre carré ». 

 

Reference: lorientlejour.com