la nuisance sonore s’empare de notre quotidien

Il y a quelques mois, certains habitants du quartier de Gemmayzé organisaient un mouvement de protestation pour dénoncer le tapage nocturne provenant de quelques pubs du quartier. Un tapage nocturne qui, comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, se prolonge parfois en dehors des établissements de loisirs, sur les trottoirs ou carrément sur la chaussée. Les Libanais sont malheureusement de plus en plus accoutumés à ce genre de nuisance sonore. Surtout les jeunes. Dans la plupart des familles qui suivent de près le progrès dans le domaine technologique, la mode des MP3 et du iPod s'est rapidement emparée de la nouvelle génération. Sans compter, pour les plus « classiques », les traditionnelles chaînes stéréo, beaucoup moins discrètes que les écouteurs individuels.
Invisible, impalpable, le bruit est ainsi l'un des fléaux de la vie citadine moderne.

D'aucuns le qualifient de l'une des causes de stress dans notre vie quotidienne. Si une partie de la population libanaise se plaint ainsi de la nuisance sonore qui l'entoure, force est de relever que cette nuisance sonore dont pâtit le Liban n'est rien à comparer avec celle dont souffrent les grands pays industrialisés, notamment dans les métropoles. Car rares sont les endroits sur terre où l'on peut trouver des zones tranquilles. Au Japon, un rapport national pour l'année 1991 indiquait que de toutes les formes de pollution, le bruit était celle qui avait suscité le plus de plaintes de la part de la population. Le Times de Londres décrit à juste titre cette nuisance comme « le plus grand fléau de la vie actuelle » . Des aboiements incessants des chiens errants au vacarme de la chaîne stéréo du voisin en passant par le hurlement des alarmes de voitures et des autoradios, le bruit est devenu la norme.

Un phénomène ancien
Ce phénomène, convient-il de noter, remonte, aussi, très loin dans le temps. À titre d'exemple, pour éviter les embouteillages, Jules César avait interdit par décret la circulation en journée des véhicules dans le centre de Rome. Malheureusement pour lui et pour ses concitoyens, cette mesure avait créé la nuit une nuisance sonore intense causée par « le tintamarre des roues de chariots, cahotant sur les pavés ».
Environ un siècle plus tard, le poète Juvénal se plaindra de ce que le bruit condamne les Romains à l'insomnie chronique. Au XVIe siècle, Londres est déjà une métropole bruyante. Ce qui devait frapper d'emblée le visiteur, dans l'Angleterre élisabéthaine, c'était le vacarme : le fracas et le martèlement qui montaient d'un millier d'ateliers, le roulement et le grincement des roues de charrette, les meuglements du bétail que l'on menait au marché, les boniments des marchands ambulants.
Au XVIIIe siècle s'annonce la révolution industrielle. Les effets du bruit des machines deviennent évidents : les ouvriers souffrent de lésions auditives. Même les citadins vivant loin des usines se disent de plus en plus gênés par le bruit. Une série de nouveaux bruits, dont les sirènes des bateaux et les sifflets des locomotives, font leur apparition.

Une pollution très répandue
Aujourd'hui, les récriminations des militants antibruit visent principalement les aéroports. Ce problème se pose avec d'autant plus d'acuité au Liban que les avions survolent la capitale à très basse altitude afin d'atterrir à l'aéroport Rafic Hariri.

Dans de nombreux pays, les compagnies aériennes font tout pour empêcher le vote de lois contre la nuisance sonore. Les amendes qu'infligeait l'aéroport de Manchester chaque fois que décollait un Concorde n'ont servi à rien. Tout en admettant que le supersonique était bruyant, un commandant a expliqué qu'une réduction du volume de carburant abaisserait le niveau sonore du décollage, mais ne permettrait pas un vol sans escale pour Toronto ou New York.
La lutte contre les bruits de la circulation est tout aussi ardue. À Beyrouth, ils sont encore plus aggravés par l'usage intempestif du klaxon. En Allemagne, cette nuisance qui gênerait 64 % de la population se répand et serait mille fois plus importante qu'avant l'apparition de l'automobile. Selon un rapport venant de Grèce, Athènes est l'une des villes les plus bruyantes d'Europe. Le vacarme est tel qu'il nuit à la santé de la population.

Au Japon, enfin, le ministère de l'Environnement constate une aggravation du phénomène, qu'il attribue à une utilisation de plus en plus importante de l'automobile. À faible vitesse, c'est le moteur du véhicule qui fait le plus de bruit, mais au-dessus de 60 kilomètres à l'heure, ce sont les pneus. En Grande-Bretagne, on se plaint avant tout des bruits domestiques. En 1996, un institut de défense de l'environnement a noté une hausse de 10 % du nombre des plaintes déposées contre un voisin bruyant.

Le phénomène est difficile à expliquer. Peut-être le stress lié au travail rend-il les gens plus jaloux de leur tranquillité chez eux. La musique nocturne, les moteurs de voitures à échappement libre, les alarmes ou les coups de klaxon représentaient deux tiers des plaintes enregistrées en Grande-Bretagne en 1994. Il est intéressant de noter dans ce cadre que 70 % des victimes se tairaient par crainte de représailles.

Face à cette omniprésence de la nuisance sonore, les organismes de protection de l'environnement font pression pour que soient votées des lois antibruit. Aux États-Unis, par exemple, des municipalités ont soumis à restriction l'utilisation des outils de jardin à moteur. En Grande-Bretagne, une loi récente autorise la police à infliger une amende sur-le-champ au voisin qui fait du bruit entre 23 heures et 7 heures. La police a même le droit de confisquer le matériel hi-fi responsable de la nuisance.

Joseph ZEIDANE

Reference l'Orient le jour