Les bains turcs de Beyrouth: un patrimoine qui survit

Les bains turcs de Beyrouth : sous la vapeur, un patrimoine qui survit

À Beyrouth et dans quelques grandes villes, les hammams font partie de l'identité culturelle, mais sont menacés de disparition. De nombreux amateurs locaux et des touristes font de la résistance.

Bien sûr, il y a les spas. On vous y offrira des soins de qualité, en blouse blanche, en suivant des techniques à la pointe de la physiothérapie, dans une température calculée au degré près. Des dizaines de clubs de santé ont essaimé à travers le Liban ces dernières années, offrant un vaste éventail de solutions adaptées à vos besoins et à votre portefeuille. Mais demandez à Sami, ce manager de 28 ans, à quoi il a recours pour se détendre et soigner son corps. Sa réponse vous surprendra.
« Tous les vendredis soirs, déclare-t-il avec un petit sourire, je vais au bain turc. C'est mon petit plaisir, ma façon de commencer le week-end avec sérénité. » À regarder le jeune homme, en costume-cravate à sa sortie du bureau, on l'imagine alors rapidement dans un hammam branché, un long drink dans une main et un BlackBerry dans l'autre, entouré de ses amis businessmen. Et pourtant, il suffit de le suivre à travers Beyrouth jusqu'à une ruelle un peu sombre entre Basta et le centre-ville pour constater qu'il n'en est rien.
Le hammam al-Nuzha est plutôt propre, mais ancien - et ça se voit. Il y a de quoi faire frémir les Beyrouthins qui rêvent de grands espaces climatisés et inondés de lumière : ici, quelques lampes murales constituent tout l'éclairage, et la vapeur qui s'échappe des bains crée une atmosphère chaleureuse, presque intime, entre les murs blancs. La maison a 90 ans et elle garde les traces du temps, malgré un entretien soigné.

Un mélange social étonnant
« Ce n'est pas comme les saunas dans les nouvelles salles de sport, explique Sami. D'abord, le bâtiment a une histoire, il a vu défiler les époques, sans presque jamais fermer. Vous imaginez ce que ça signifie, dans ce quartier ? Des hommes de tous les bords politiques se sont retrouvés ici : des miliciens, des commerçants ou des employés de banque, pendant la guerre, pendant la paix. Et justement, ici, les gens savent bien recevoir. On a l'impression d'être chez soi. »
Les clients ne sont pas nombreux, mais constituent un mélange social peu commun : j'ai rencontré le même jour, à al-Nuzha, un employé de banque, deux ouvriers syriens, un vieil instituteur et un couple de touristes finlandais. Les employés du hammam, quant à eux, ne sont pas des professionnels de l'hôtellerie, mais ils connaissent leur métier de masseur sur le bout des doigts. Avant de promener ceux-ci sur votre dos endolori, ils auront pris soin de vous offrir une tasse de thé et de vous avoir mis à l'aise parmi les habitués. Une serviette nouée autour de la taille, vous aurez vite fait de vous sentir chez vous dans le nuage de vapeur - et vous aussi, vous donnerez votre avis sur le scandale politique du moment.

Service à la carte
Dans la salle de relaxation, on enduira votre corps de savon (naturel, à l'huile d'olive de préférence) et on vous proposera un massage pour le moins revigorant : il ne faut pas avoir peur d'être un peu secoué, pour sentir le stress et les impuretés d'une semaine de travail s'échapper avec l'eau. Vous pourrez ensuite vous laisser aller aux délices de la vapeur aussi longtemps que vous le désirerez.
Le service se fait à la carte : il suffit de choisir entre les formules simple, intermédiaire ou complète, cette dernière comprenant un long massage élaboré. Les serviettes et le vestiaire sont inclus dans le prix, qui varie entre 10 et 20 dollars pour la formule simple, selon les hammams. Car il y en a plusieurs ! Les bains turcs n'ont pas toujours pignon sur rue à Beyrouth, mais les amateurs savent les retrouver. Vous en aurez toujours un nouveau, pour vous accueillir, lorsqu'un autre vient de fermer : ils sont à Bourj-Hammoud, à Sin-el-Fil ou encore dans la banlieue sud, où ils ont beaucoup de succès. La plupart d'entre eux accueillent les hommes et les femmes (à des horaires différents ou dans des locaux séparés, bien sûr).
D'autres villes du Liban comptent les hammams parmi les éléments essentiels de leur identité. À Tripoli, par exemple, tous les guides touristiques emmènent leurs visiteurs admirer Hammam al-Jadid (le « nouveau bain » bâti au dix-huitième siècle), Hammam al-Nouri et Hammam al-Abd -, mais ce dernier est le seul bain tripolitain encore en activité aujourd'hui.

Une survie en question
Après une heure de vapeur, Sami se rhabille et se prépare à retrouver l'air frais de l'hiver libanais. Toutes les semaines, il se demande s'il pourra revenir le week-end suivant : les hammams de Beyrouth vont-ils continuer à diminuer en nombre et finir par disparaître ? Au fil des siècles, avec le progrès du confort dans les maisons, ils sont passés du rang de bains publics à celui de lieux de détente et de rendez-vous, avant de devenir peu à peu de timides curiosités touristiques.
« La ville pourrait certainement mieux faire, regrette Sami, comme à Istanbul, pour encourager la fréquentation de cette part du patrimoine, et en faire profiter le tourisme. Les hammams sont authentiques et ne devraient pas être oubliés dans la rénovation du vieux Beyrouth ». Rien n'est prévu pour l'instant par les autorités, mais il ne devrait pas être difficile de faire remonter l'intérêt des habitants pour les bains turcs, d'en faire des lieux vivants et d'y attirer encore plus de touristes. Enfumée, embouteillée, assiégée de béton et de grogne politique, Beyrouth ne se refuserait sûrement pas un bon bain de vapeur.

 

 

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