« Le Liban citoyen » se met en branle

Le programme d'éducation civique et de formation à l'action des groupes de pression, lancé en février 2008 en collaboration avec sept grandes ONG libanaises engagées dans l'action publique, est la dernière initiative en date.
Supervisé par le National Democratic Institute (NDI), et financé par la Middle East Partnership initiative (MEPI) le projet, intitulé « Le Liban citoyen », s'étend sur l'ensemble des cazas libanais et bénéficie à des groupes de citoyens aussi divers tant du point de vue des groupes d'âge que des origines confessionnelles et des classes sociales. L'importance et l'originalité de ce programme réside dans le fait que pour la première fois, l'éducation citoyenne est conjuguée à l'action sur le terrain, inspirée du travail des groupes de pression qui font campagne auprès des autorités et revendiquent les changements et réformes nécessaires à leurs localités. La logique est la suivante : si les députés et ministres font la sourde oreille et apposent aux réformes leur passivité légendaire, il revient aux citoyens eux-mêmes de les mettre au pied du mur, pour les inciter d'une manière ou d'une autre à adopter des projets utiles, voire urgents, dans leurs régions respectives.


En apprenant à connaître et à assimiler leurs droits et obligations et à les mettre en œuvre par le biais de revendications ponctuelles et personnalisées aux différents cazas libanais, les citoyens sont appelés, dans une seconde phase, à apprendre à formuler leurs revendications en termes de développement et de réformes locales. Leur mission est de « faire pression » aussi bien sur les autorités locales que centrales, pour présenter, défendre et réclamer les changements nécessaires au sein de leur caza, par le biais d'un suivi assidu et de négociations bien argumentées.
Concrètement parlant, le programme se divise en plusieurs phases, la première étant celle de la sensibilisation aux questions quotidiennes de la vie publique touchant directement le citoyen.

Groupes de réflexion et d'action
Divisés en groupes de réflexion par caza - l'ensemble du territoire libanais est couvert par ce programme - plus de 7 000 membres jeunes et moins jeunes ont déjà rejoint le programme depuis 2008, explique le responsable du projet, Jad Sakr. Plusieurs thèmes de réflexion et de discussion sont présentés aux groupes qui en choisissent un, selon leurs besoins locaux : citoyenneté, Constitution, État de droit, élections, médias, gouvernance locale, acteurs principaux de la démocratie (les partis politiques, les syndicats, les ONG, les municipalités), et environnement. Pendant sept mois consécutifs, les groupes de réflexion se réunissent dans leur caza, pour débattre du sujet de leur choix accompagnés de deux facilitateurs qui guident et orientent les discussions. C'est dans le cadre de ces groupes de réflexion que les citoyens apprennent les rouages de la prise de décision au niveau public et tentent d'influer, dans un sens qui leur est favorable, cette prise de décision.
« C'est notamment lors de ces rassemblements que les participants - de 18 à 70 ans - déterminent également les besoins les plus pressants de leurs régions en apprenant en même temps les techniques employées par les groupes de pression pour passer, dans une phase ultérieure, aux revendications, après avoir défini une stratégie d'action commune. « Celle-ci consiste notamment à créer des alliances locales, à mettre en place un plan médiatique et à déterminer les moyens de financement du projet qui les intéresse », explique Jad Sakr. Dans certains cazas, les participants peuvent décider de collaborer avec le caza voisin sur un sujet commun qui intéresse les deux localités.
C'est ainsi par exemple que le groupe de Bint Jbeil a décidé, d'un commun accord avec celui de Tyr et de Nabatiyeh, de lancer une campagne de pression auprès de l'Union des municipalités de Bint Jbeil et du ministère des Transports, pour trouver une solution au problème des transports en commun, inexistants dans la région. La revendication consiste à réclamer la mise en place de deux bus qui desserviraient la région, explique le responsable du projet. Les participants ont également réclamé à l'autorité centrale de participer au financement de cette initiative à concurrence de 2 à 5 %, revendication qui a été acceptée dans le principe et qui n'attend plus qu'à être exécutée.
À Tripoli, les participants ont réalisé, au cours des discussions, l'importance du droit à l'information, découvrant ainsi la clause portant sur l'obligation, pour les municipalités, de rendre publique toute décision à caractère public prise par celles-ci. Passant à l'action, le groupe de Tripoli s'est entretenu avec les membres de leur municipalité et les ont convaincus de la nécessité de publier les décisions concernant les habitants de la capitale du Nord, en les accrochant dans des kiosques publics qui seront répartis dans plusieurs points de la ville, demande qui a été avalisée par les autorités locales.

Mettre un terme à la passivité
Toujours à Tripoli, plusieurs membres de l'orphelinat de l'institut technique de Dar el-Zahra se sont également constitués en groupe de pression pour réclamer la réfection de la route menant jusqu'à l'institut, et qui est dans un piteux état. Projet qui a immédiatement été agréé par la municipalité.
« L'objectif principal de ce projet est de former les participants à l'idée qu'ils ne doivent plus accepter de rester des sujets passifs dans leur localité, mais de prendre des initiatives concrètes qui leur permettent de participer activement à la vie publique, créant ainsi une allégeance du citoyen envers l'État qui devient leur interlocuteur en termes de revendications. Il s'agit également de prendre conscience des droits qui leur incombent et de leurs devoirs en tant que citoyens », précise Jad Sakr.
Toujours dans le Nord, les citoyens de Batroun se sont rendus auprès du ministère du Tourisme, pour revendiquer la reconnaissance de la ville de Batroun comme région touristique et la création d'une brochure destinée aux visiteurs, une campagne qui est actuellement en cours.
Plus écologique et pressant, le projet défendu par les citoyens dans la Békaa consiste à mettre un terme à la pollution du lac Qaraoun qui est à l'origine de maladies sérieuses dont souffrent près 15 % des habitants. Avec un taux de 15,5 % de nitrates retrouvé dans les eaux de ce lac, qui sert à irriguer les terrains agricoles environnants, les habitants ne sont plus à l'abri des infections.
Bilal Aarfan, l'un des facilitateurs et consultant du projet, explique l'impact positif de cette initiative auprès des municipalités concernées, qui se sont engagées auprès de ce groupe de pression à prendre part à l'action collective. « Le seul problème rencontré a été au niveau du budget nécessaire pour financer cette campagne. Nous nous sommes alors dirigés vers des organisations privées qui nous ont promis de combler les insuffisances en termes financiers », précise Bilal.
Hachem Badreddine, un jeune professeur universitaire de Nabatiyeh, et participant assidu à ce projet citoyen, résume ces impressions : « Nous sommes conscients que nous ne pouvons pas tout changer dans le cadre de ce projet, mais c'est déjà un grand pas en vue de la création d'un lien d'allégeance à nos autorités locales et centrales. Le plus important est que ce sont les citoyens qui prennent désormais l'initiative avec la ferme intention de faire la différence. » « Il est temps de cesser de jeter le blâme sur les responsables politiques tout en gardant une attitude passive, explique de son côté Josée el-Kouba. Il faut désormais que nous nous prenions en charge. Charité bien ordonnée commence par soi-même », conclut la jeune fille.

 

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