Alzheimer:entourer les malades d’affection

Alzheimer : entourer les malades d’affection et préserver leur dignité
Par Nada MERHI | 22/09/2010

 Ne pas oublier ceux qui ont tout oublié. Tel est le credo de l’Association Alzheimer’s Liban qui lutte depuis sa fondation à humaniser la maladie. Photo tvnoviny.sk
Démence sénile Au cours des dernières années et grâce à l'action continue de l'Association Alzheimer's Liban, la maladie commence à être mieux comprise et acceptée. Le tabou qui l'entoure persiste toutefois et un long chemin reste à accomplir pour permettre aux têtes blanches de vivre dans la dignité.

- Où vas-tu ainsi pressé ?
- À la maison de retraite. Ma femme m'attend pour notre pause quotidienne de café. src="http://advertising.reelagency.com/delivery/ag.php" type="text/javascript">
- Elle te reconnaît toujours ?
- Non, mais moi je la connais.
Cette anecdote, l'Association Alzheimer's Liban (AAL) en a fait son credo. Et c'est « pour ne pas oublier ceux qui ont tout oublié » qu'elle mène son action. « Le jour où les gens cesseront de demander aux proches d'une personne souffrant d'alzheimer si le patient les reconnaît, ou encore au patient s'il reconnaît celui ou celle qui lui adresse la parole, nous aurions franchi une grande étape du processus d'humanisation de la maladie, insiste Diane Mansour, présidente et fondatrice de l'AAL. Ces questions sont embarrassantes tant pour le patient que pour sa famille, puisque la mémoire est la première chose qu'on perd avec la déclaration de la maladie. Poser de pareilles questions, c'est comme si on sous-entendait que ces personnes qui ont perdu leur mémoire n'ont plus le droit de continuer à vivre dans la dignité et dans l'amour. »
Depuis qu'elle a fondé l'association, il y a six ans, Diane Mansour lutte donc pour lever le tabou qui entoure la maladie. Multipliant les conférences et les sessions de formation dans les maisons de retraite, elle œuvre à la sensibilisation de l'opinion publique, du corps soignant et de la famille des patients à la maladie. Elle apporte par la même occasion un soutien aux familles dans le cadre de sessions de groupe. « Le malade d'alzheimer apprécie les visites des siens, même si celles-ci ne durent que quelques minutes, poursuit-elle. Dans cette maladie, il est important de faire de chaque instant un moment précieux. Il est vrai que nous ne pouvons plus mesurer l'immensité du bonheur, mais il est important d'accumuler des moments de bonheur. Le patient a oublié son passé, il ne peut plus projeter l'avenir, mais il a le présent. Il faut profiter de ces moments de joie. »
Et c'est sur l'importance de saisir ces moments présents que l'AAL insiste, à l'occasion de la XVIIe Journée mondiale de l'alzheimer, célébrée hier et placée cette année sous le thème : « La démence ! Il est temps d'agir. » Il s'agit également d'une occasion pour solliciter le gouvernement et les autorités concernées à agir et à prendre les mesures nécessaires susceptibles d'améliorer la prise en charge des personnes du troisième âge en général et celles atteintes d'alzheimer en particulier. Et pour cause ! « La situation des personnes âgées est catastrophique au Liban », dénoncent à l'unanimité des responsables dans plusieurs centres et maisons de retraite. Mais aussi des parents de patients, comme Randa, dont la maman souffrait d'alzheimer, qui affirme que « si on a de l'aide et qu'on est bien secondé, on peut mieux gérer la maladie ». « Dans le cas contraire, la situation devient terrible », note-t-elle.

Besoin d'amour
Véra el-Ferkh dirige le Foyer des vieillards - Filles de Notre-Dame des douleurs, à Ghodress. « Si on n'est pas aisé et si on n'est pas sensibilisé à la vieillesse, la personne âgée vivrait au Liban dans la misère », constate-t-elle.
Dans le centre qu'elle dirige, Véra el-Ferkh reçoit des personnes atteintes d'alzheimer. « Malheureusement, les gens croient à tort que ces patients ne ressentent plus rien et ont tendance, par conséquent, à les maltraiter, note-t-elle. Cela n'est pas vrai. Bien qu'ils aient perdu leurs fonctions, ils ressentent l'amour. En plus du suivi médical, le côté humain joue un rôle important dans la prise en charge de ces patients qui ont besoin avant tout d'affection. »
Déplorant l'apathie du gouvernement en ce qui concerne une prise en charge « décente » des têtes blanches, Véra el-Ferkh souligne que dans le secteur privé, une amélioration a été constatée au cours des dernières années. « Il nous manque toutefois un centre spécialisé dans la prise en charge de l'alzheimer, fait-elle remarquer. Il est inadmissible de constater que d'aucuns enferment toujours la personne souffrant de cette maladie, sous prétexte qu'elle n'est plus responsable de ses actes. C'est une personne qui a le droit de vivre dans la dignité comme tout autre individu, d'où le rôle des équipes spécialisées. Malheureusement, celles-ci ne sont pas légion au Liban. »
Sur le plan social, Véra el-Ferkh souligne que le tabou persiste encore : « On a honte d'avouer qu'un membre de la famille souffre d'alzheimer, dit-elle. On essaie de cacher la situation, même aux autres membres de la famille. Et, finalement, on place le patient dans une maison de retraite, parce qu'on ne peut plus supporter la situation. Or si on est conscient du problème et familier avec la maladie, le patient peut être très bien pris en charge au sein de sa famille. » Et de conclure en insistant sur la nécessité d'oser reconnaître ses troubles de mémoire : « Il ne faut pas avoir honte et il faut chercher une aide médicale dès les premiers symptômes de la maladie », insiste-t-elle.

L'importance des visites régulières
Même son de cloche chez Josiane Mouawad, directrice du centre Dar el-Raha, à Mejdlaya (caza de Zghorta). « Je me demande que feront les personnes du troisième âge sans les maisons de retraite, surtout si elles sont célibataires et qu'elles n'ont pas de famille ?, dit-elle. Ce qui est encore plus triste, c'est que dans le cas de l'alzheimer, la famille ne demande plus des nouvelles de son patient en se disant à tort qu'il ne se souvient pas d'elle. Dans ces cas, j'oblige les parents à lui rendre visite, en leur expliquant qu'il ne demande rien d'eux à part quelques moments de tendresse. »
Maha Abou Chawareb est une infirmière diplômée en gériatrie et gérontologie. Depuis qu'elle est rentrée au Liban, en 2000, elle dirige le Foyer Saint-Georges relevant de l'Hôpital Saint-Georges Centre hospitalier - Université de Balamand. « J'ai constaté qu'il y a une demande accrue à placer une personne âgée dans une maison de retraite lorsque celle-ci commence à avoir des troubles de mémoire », indique-t-elle. Sur son expérience au Liban, Maha Abou Chawareb note que « les unités d'alzheimer dans les maisons de retraite ne sont pas bien équipées » et que le personnel manque d'expérience et de formation pour la prise en charge de ces patients. « La mentalité commence à changer, mais un long chemin reste à faire pour préserver la dignité des personnes âgées », ajoute-t-elle. Et de dénoncer la discrimination envers les personnes du troisième âge et « le manque d'investissement social et familial dans ces personnes dont les droits les plus élémentaires d'ailleurs ne sont pas respectés au Liban, à savoir le droit à la santé, aux soins et à vivre dans la dignité. »

Reference L'Orient Le JOur